EXPLORATIONs aux rivages
de l'imaginaire
La chamane des îles
Une petite femme pousse de la pointe du pied
Une coquille d’oursin
Sur la grève sableuse.
C’est un matin d’hiver.
Elle n’a pas vu que je suis là et que nous sommes deux.
Son regard se perd dans la danse
D’un voilier qui lutte contre le vent de face.
Je la reconnais de ce qu’on me l’a décrite,
À ses cheveux blonds-blancs
Ses rides cartographiques.
On raconte que toutes elle les a visitées,
Les îles.
Toutes.
On dit qu’elle parle aux pierres,
Qu’elle compose avec le vent qui la devance, puis la rattrape,
Comme un chiot qui joue sans oser s’éloigner.
Qu’elle ajuste les flots de mots qui pulsent sur son passage
Qu’elle soigne en murmures invisibles.
Que son chant éveille des ports hantés, rejoint
Les fous pionniers aux lisières du monde.
D’écrire, jamais elle ne s’arrête !
Au fil des mots, des cartes, des lettres,
Comme la marée haute elle s’allège,
Recrache des écumes de trop-pleins du cœur,
Des crêtes sanguines à l’encre d’aventure.
Sur la page, elle laisse les vestiges
De mots amers, quand les flots abandonnent
La laisse de mer
Aux plages.
Des pépites à l’encre de nacre
Que ramasse le promeneur de l’aube
Avant que le vent ne les sublimes
Dans la montée de l’air qui tremble,
Avant que le bruit du jour ne couvre ces murmures
Qui disent tout sur tout.
Des graines d’amours espiègles
À la saveur
Des coques fraîches ouvertes sur l’estran.
Des fruits-de-mère offerts entre deux rives,
Entre deux vies.
Entre deux larmes, parfois.
Des larmes, dis-tu ? Allons !
Ce sont les embruns qui érodent son visage
Lorsque quelques bourrasques surgissent du passé.
Alors elle s’accroche solidement, ancre ses deux pieds à l’île,
Jumelle des patelles cramponnées à leur rocher-refuge.
La tempête passe.
Elle, repart.
Les tempêtes, avec l’âge, ça s’apprivoise
de quelques bons nœuds marins !
Pas les rêves.
Il n’existe pas d’amarre pour retenir
L’appel de l’exil.
Les mots, elle les couche au crépuscule,
Lorsque ses pupilles alertes tamisent leur lueur,
Laissent les vieux phares prendre la relève,
Veiller sur sa quête avide d’histoires et
De visages habités.
Quelle délivrance alors que de sentir sous leurs bougies
Se vider les ballaste du corps !
S’épancher l’inspiration,
S’abaisser les épaules,
L’attention !
Un café serré au fond de la cabine
Qui craque.
Elle baisse les voiles pour la nuit
Le tangage berce ses gestes et de fines lettres
Bordent son sommeil de vagues étoles.
Sans même y songer
S’amarrer à la Lune.
Son sourire rassure celui que prend le vertige
De libre-liberté.
Il est une prise sure que son regard
Au mur de l’irréalisable.
Un guide vers l’horizon qui, par magie,
Se rapproche.
Les yeux pleins d’envies, pleins d’amis
Qu’elle aime à recevoir avant de partir
Voler l’inspiration à une solitude
Savourée.
Cascade de départs sucrés-salés.
Artiste funambule des relations humaines.
Il en faut de bien nombreux des amis à quitter,
Pour que leur absence créé une différence,
Que s’invite le face-à-face avec soi
Sans pensée d’autres qui accompagne.
Au fil des années, des explorations, des rencontres,
Il lui faut chercher plus loin encore,
Repousser les bouts des bouts du monde,
Effacer les visages entrevus.
C’est qu’on ne l’oublie guère aisément !
Là où elle passe, elle impose sa trace.
Ce sourire abondant dont le souvenir vous laisse
Les bras ballants, le cœur plus vide qu’avant,
Mais où une graine nouvelle pousse pourtant déjà.
L’ombre de la petite femme révèle les trésors
Enfouis dans nos jardins en friche.
Oui, elle use de stratagèmes
Pour s’enivrer encore aux vertigineuses falaises,
Aux cottages hantés
Aux pierres terreuses,
Aux phares oubliés dans la nuit,
Aux criques inconnues,
À l’ombre de cocotiers qui ne l’abritent pas.
Ne pas se sentir protégée.
S’exposer
Les rides à nue.
Je la regarde avec tendresse
Trotter à petits pas
Dans la lande infinie.
Les animaux lèvent à peine la tête
À cette discrète créature.
Son regard ne s’attarde jamais trop.
Il reste décidé, clair, fixé à la forme floue
De l’inconnue nouvelle
Qu’elle poursuit.
Elle ouvre des chemins.
Elle renverse le monde
De sa poésie.
