EXPLORATIONs aux rivages
de l'imaginaire
Des îles-en-terre
Que l’on arpente les presqu’îles ou les hautes montagnes,
C’est toujours le bout du monde que l’on vise.
La fin-de-terre, vertige d’espace
Ouvert sur le grand bleu.
Les littoraux déchiquetés, cimes, grèves,
Sont ensorcelants.
Des volutes d’îles dessinent les lisères
d’un inaccessible cosmos.
De l’autre côté, c’est l’appel du vide,
Du fluide sans oxygène dans lequel on se noie,
Mais dont sont fait les rêves.
Perchée sur le dernier roc,
Battue de soleil et de tempêtes,
S’accroche la petite guérite,
La tour de veille.
Un phare-refuge, sentinelle qui
Guide les barques perdues dans les brumes
Ou les têtes dans les nuages.
Lessivées, ses pierres portent les mémoires
Abrasives des pionniers
Que le bleu a avalé.
Éclats de gel aux échos d’embruns,
Les femmes des vallées
n’ont rien à envier
Aux femmes de marins.
Et les embruns ?
Sous le matin âcre et capricieux,
Le bateau quitte le port de l’île.
Le long du quai gluant, les amarres se dénouent, glissent, m'échappent.
Dans ma bouche, le vent salé s'engouffre
et j’avale ton air
à m’en couper le souffle.
Le bateau traverse un bras de mer.
L 'Est aimante. Nous coulons vers son fond.
La main du phare lâche la mienne.
Les oiseaux nagent vers la surface,
s'éloignent à contre-courant.
Le bateau, dos à l'île, chancèle.
A son regard flou, l'écume dévoile
une lettre d'adieu.
J'entrevois le continent, un mur qui se rapproche.
Le quai brise la dernière note.
Une lame s'élève.
Je me noie dans une vague verte,
Ouate mon esprit à la brume collante.
Choc !
Le navire cogne,
S'amarre,
S'écrase contre le monde sang-silence.
Et les embruns ? dis-tu.
Les embruns…lesquels ?
Ceux du dehors, magiciens
peintres d'arcs-en-ciel ?
Ou ceux du dedans qui érodent la chair,
Rident,
Ravinent ton absence?
Les îles ne sont pas toutes entourées d’eau
Une île, c’est une terre entourée d’eau.
En réalité, les îles sont partout.
Dans cette chambre de bonne où j’écris, sous les toits de Paris,
Sous l’ombre fugace du nuage qui passe devant le soleil d’Août.
Quelques secondes en suspend quand, par la fenêtre d’une voiture, s’évade la Gymnopédie n°1 de Satie.
L’île se dessine en ces heures à discuter avec une amie chère.
L’île, c’est un chalet au feu de bois enseveli sous une éternité de neige,
Une tanière où hiberner.
Il est de nombreuses îles-en-terre baignées de mers de silence
Et d’aubes bleues.
Une île, c’est une terre entourée d’eau.
Parfois, l’île dissimule une autre île en sein.
L’autre. Îlot secret que l’on visite parfois, lorsque les courants sont propices, ou que l’on espère de loin, lorsque grondent les tempêtes.
Alors on y revient, à ce banc de sable fin que l’on craint de ne pas retrouver au prochain voyage tant déferlent des vagues de fausses-sagesses, menaçant son fragile littoral.
Les îles jouent parfois les poupées russes.
L’île se tient entre deux peaux qui se rencontrent, elle émerge d’un front de sensualité. C’est l’effluve d’un souffle entre deux aurevoirs que l’on emporte avec soi, comme les embruns parfument les coquillages après les grandes vacances.
Une île, c’est une terre entourée d’eau.
C’est un morceau de vie qui rapproche soudain, en un point concentré,
Tous les morceaux éparpillés de nos âmes, que l’espace qui l’entoure soit fait de mer, d’air, ou du temps qui passe.
L’île, c’est la géographie de l’esprit humain palpée par son cœur-même.
Vivre, c’est sauter à cloche-pied d’îles en îles entre les remous des passes.
Plus il y en a, plus le pas est sûr et la chute peu probable.
Un jeu de marelle à l’archipel des instants.
Quelle sera la dernière ?
Si la mort est une île, elle doit être la plus absolue de toutes.
Sans en être pressée, il m’est une curiosité que de la découvrir.
Je me la garde pour la fin.
L’île, c’est une terre entourée d’eau.
Mais c’est aussi tant d’autres choses encore !
La page d’un livre où l’on s’évade, l’odeur du pain chaud au réveil, de la morue qui sèche sous les gueules ouvertes des malamutes du Groenland.
Un sourire entendu avec un inconnu, le ronronnement d’un chat dans ta nuque endormie, une averse d’été, une bouchée de framboise, l’écho des notes d’ivoire d’un piano de bois de rose que les mains délicates d’une belle vielle femme caressent sous une véranda fleurie.
C’est l’atelier du peintre, l’odeur de la forêt.
C’est un chant qui te vient au roulement de l’orage,
La route qui défile quand tu prends l’horizon sans dessin de retour.
C’est une signature en bas d’une lettre, un regard, une clarté, le chant de la rivière,
Une ride, un murmure.
Il est des îles de bien des formes, de bien des couleurs, de bien des goûts, des odeurs.
Des îles de toutes les textures, de tous les âges,
Des îles invisibles, des îles musicales,
Des îles imaginaires, des îles à l’envers,
Des îles de lumière.
Elles habitent le ballet du rayon du phare, le flou du matin, l’oiseau qui s’envole.
L’île,
Une ombre
Une montagne
Une évidence.
L’île
L’ile, ça commence par un port.
Par un bateau qui dort.
La gare maritime qui s’éveille.
L’île, elle sent l’aube, les croissants chauds,
le café métallique,
La marée poissonneuse s’épanchant aux amarres
que l’on hisse au matin.
L’ile, c’est le dernier amer dépassé le regard perdu
Dans la mer.
les oiseaux se détachent de l’étrave.
Une première légèreté.
porté loin du continent
qui fond dans le relief des vagues.
C’est le bruit du monde que l’on écrase.
absence de terre.
De faux repères.
il y a toujours un moment où l’on franchit dans l’eau
Une frontière.
L’air devient endémique.
Les goélands ne franchissent pas le passage
Qu’il soit de Drake ou du Fromvoeur.
Des sentinelles d’une autre envergure prennent le relais :
Les fous de bassan, les albatros.
La houle récolte la taxe de l’aventure.
Entrés dans le territoire de l’ile magnétique,
Elle ne se montre pas encore.
du voyage, ces heures entre deux rives resteront les plus fortes.
ne plus jamais quitter le ventre du bateau.
Poser sa tête contre la vitre.
fermer les yeux.
Mourir
Un peu.
A l’arrivée, un Phoenix insulaire s’éveille
Il porte ton manteau,
Et tes cheveux.
L’ile apparait enfin, désolément plate.
Une ligne qui penche vers le Sud.
Elle rappelle les icebergs, gigantesques plateaux stériles.
Elle, est plus petite
Et accrochée au fond.
Même si d’ici, elle semble bien dériver autant que nous !
Sans même quelques arbres pour jouer le relief,
Comment retenir les vertiges de son histoire ?
Son passé, balayé par les vents, s’accroche
en murmures-lambeaux aux ronces,
se soude aux pierres taiseuses.
Autant d’indices tissant les haillons
De ses légendes granitiques.