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LE BOIS DE RENNE

 

Un bois de renne gît au milieu du village.

Rapporté de la chasse hier,

La viande nourrit les ventres,

La peau réchauffe les corps.

Les boyaux habitent les kayaks,

Les os craquent sous les dents des chiens.

Il ne reste que ce bois sec

Inutile dans la cour.

 

L’artiste passe et le ramasse.

Il connait son affaire.

Il scie un petit morceau et, dans ce dé osseux,

Sculpte patiemment

Les visages de ses pères,

Inuits d’antan.

Toujours les mêmes traits faciles, un peu grossiers,

Yeux linéaires, bouche ronde,

Chef couvert d’une capuche,

Ventre rond, bottes de neige.

Et voilà le nouveau personnage qui rejoint la vitrine.

Les voyageurs s’arrachent les figurines.

 

La petite fille regarde son père donner naissance

à ces petits frères. Soudain, elle s’arrête,

Tend le doigts vers un morceau à demi taillé:

- Sunna una ? Demande-t-elle. C’est quoi ?

- Tu as remarqué, il est rose, celui-là !

 

C’est vrai. La surface crème détient à cet endroit

une large tâche vermillon,

Un rose étrange que rien ne parvient à ôter tant il est

en profondeur imprégné.

 

- Vois-tu, réponds le père,

Ce renne-là est mort en été, à la saison où les paarnats emplissent la toundra.

Les baies sucrées que cherchait son museau sous les mousses et les lichens explosaient de leurs jus,

Marquant éternellement

Le bois poreux.

 

Un matin blanc, un éclat métallique

À l’œil noir du fusil

Parsema de confettis

Sa fourrure de laine pour que ce soir, 

à son tour, l’animal nourrisse le ventre et l'esprit

d'un vieil artiste.

Dans ses bois, il invitera ses ancêtres

et contera la ballade du renne.

De bleu et de lumière

 

Les secrets, en arctique, se dévoilent aux lisières des journées.

Des lisières élastiques selon les saisons

Souvent très longues, lorsqu’il s’agit de lumière.

 

Entre le printemps et l’automne, l’obscurité s’enfuit.

La nuit devient pastel, colorée, vaporeuse,

illuminée d’une source qui n’émane plus depuis le haut

Mais bien depuis le bas !

Une source oubliée, dévoilée par sa réflexion

dans ce qui est là, la transparence

de scènes flottantes.

 

Le soleil assomme l’autre côté de la planète et laisse filtrer ses aubes

entre les sédiments. La faille ultramarine trahit

la nuit, recolore le bleu

en cyan.

Un géant rode sous l’océan,

Éclabousse d’embruns l’espace.

 

C’est la lumière des glaces !

 

Le jaune et le bleu ne se mélangent pas.

Le règne végétal n’est pas invité à s’accrocher au sol cristallisé.

Il n’est pas concevable même, autrement qu’en ces fragiles fleurs de givre qui subliment

la peau des jeunes glaces de mer, champs de pétales

éphémères soufflés par un frisson.

 

C’est entre la glace, le ciel et l’océan que ça se joue

Sous les ailes silencieuses des oiseaux marins

Que le vent guide.

Leurs ombres rapides courent aux surfaces,

Laissant croire à quelques créatures rampantes, aveugles,

De celles des grottes.

 

Si peu de vie en ce désert d’eau

Que la lumière dédouble l’envol des fulmars

Aux murs pétrifiés des montagnes qui flottent,

sommets à l’envers,

les racines nues à l’air

perçant la trop fine atmosphère.

Elles dérivent au gré du temps qui coule vers le fond.

 

Dans ce monde-miroir s’inverse ainsi la géographie de nos latitudes.

Les repères s’éclipsent et se saisissent de nous des perceptions nouvelles,

des dimensions plus vastes d’énergies anciennes.

 

Les impressions sans mot s’incrustent dans les cœurs

Ouverts comme des yeux.

ICEBERG

C’était un iceberg,

Un iceberg de belle taille

Embleui de rainures vives.

Il faisait chaud.

Des gouttes de sueur perlaient à la surface du mastodonte, creusant de rides le visage

Livide.

Je ressentis soudain face à sa lutte, un grand désarroi.

Je ne voyais plus le glaçon, je voyais

Une île.

Une île à la dérive qui fondait lentement, se désagrégeait dans la mer, retournait à son essence.

La glace rejoignait l’océan

Comme nous rejoindrions un jour la terre meuble.

Agrégations et désagations, hasard de tentatives

D’atomes, mélanges de cosmos.

Matière constituée de vide qu’un simple changement de température souffle,

Disperse au vent.

J’entends l’iceberg chuchoter :

« Qu’on est bien à se dissoudre ainsi dans l’espace infini ! »

Il crépite aux bulles qui chatouillent ses racines !

Lentement, son centre de gravité se déplace.

Dans un craquement soudain, le géant tombe à la renverse, sa tête carrée projetée sous l’eau alors qu’émergent ses fesses arrondies polies par les ondes sous-marines.

Il rit, l’iceberg !

Aux visiteurs, aux navires,

Au nez du glacier qui l’a vu naître,

À la douleur du vêlage,

À la dérive angoissante dans la nuit hivernale.

Il s’en moque bien désormais qu'il a pactisé avec l’astre du diable.

Il laisser la chaleur, une unique fois,

Se promener sur ses courbes.

Le liquéfier

À en mourir.

 

Il est prêt à redevenir Océan,

Offrir son individualité,

Rejoindre les siens et d’un unanime mouvement,

Pulser le bleu.

Désinvolte, le jeune iceberg décide de ne pas disparaitre à petits feux.

Un craquement plus fort, une explosion soudaine.

Une gerbe d’eau s’élève dans les airs

Et retombe sur le pont glissant.

 

Je guette l’emplacement où se tenait, quelques secondes plus tôt, la cathédrale de glace.

Vapeurs de rien.

Quelques petits glaçons se dilapident dans l’eau noire, miettes tournoyantes dans une spirale d’écume.

 

Rassasiée, la mer se calme.

Elle recouvre d’un miroir anthracite

La fosse tombale de la montagne.

Des frissons de mort transcendent le silence.

Mes yeux n'ont pas quitté l’île engloutie,

Envahie soudain par le souvenir d’une autre île,

Mon île atlantique.

Et si elle aussi décidait d’exploser

En autant de grains de sable,

De rejoindre le plancher océanique?

Si je retrouvais, un matin, l’horizon finistérien vide

Des silhouettes de ses phares?

Je la suivrai sans aucun doute

Dans les grands fonds.

Nos atomes calcaires cimenteraient ensemble

Une île jeune,

Comme l’eau de pluie sur l’océan

S’évapore,

Précipite la neige sur les dômes polaires,

Densifie la glace,

S’écoule le long des pentes.

Donne vie à d’autres fringants

Icebergs.

Pôle Nord – 14 juillet 2022

 

Forer une carotte glaciaire dans la banquise à quelques pas du pôle Nord géographique et mesurer à cet instant le gradient de température au cœur de ses cristaux est probablement l’acte le plus glaciopoétique de ma vie.

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Inukshuk Point

 

Mer de brume sur l’île de Baffin.

 

Une berge

de longues dalles de granite archéen

dont les yeux noirs, tissés dans la peau feldspathique, s’ouvrent, à l’écho de nos ombres.

Ici, les visites sont centennales.

 

Rare toundra.

Les feuilles vives des bouleaux nains

offrent un automne à une forêt de lichens plus haute qu’eux.

 

C’est à cet instant,

que je les aperçois.

 

De ce sol hermétique s’élancent, sans même besoin de racines, de petits monticules,

créations fossiles faites de galets,

de roches, assemblés pas n’importe où ni n’importe comment.

 

Leur verticalité à mes genoux parsème de troncs le roc stérile.

 

Au cœur des statues bancales bat la vie

des mains qui les ont dressées.

Au cœur des statues bancales s’esquissent une direction, une prière,

une mise en garde,

un message offert par le nomade qui sait au nomade qui s’en vient.

 

Calligraphie lithologique, art de l’emplacement,

de la forme de l’ombre des pierres.

 

Le chasseur fatigué lira dans ce repère inespéré comme la pluie dans le désert le sentier d'un gibier,

le passage du gué,

la banquise solide,

la migration des bernaches,

l’emplacement du campement.

 

L’air blanc souffle la glace à mes lèvres.

Ignorante, j’admire les Inuksuit dont je ne connais pas la langue.

 

Dans les profondeurs de mon ventre, pourtant, quelque-chose s’éveille et

gonfle mon cœur comme une voile.

Des cellules ancêtres bouleversent ma généalogie.

 

Elles, reconnaissent!

Les bras tendus des pierres,

Le paysage par la lucarne rose,

Les caches à viande,

Les cercles des tentes couvés par la toundra.

 

 

Hyperboréenne -

J’entends

vos chants d’amour !

 

 

Inuksuit,

Petits frères,

Je suis déjà passée par là.

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Exquise Esquisse

Ô l'outrageuse limpidité du ciel austral!

Blanc Volcan Blanc qui lacère

la tendre chaire

de l'atmosphère frivole

à l'ozone dégrafée.

Une lumière folle danse sur les échos de rires irrépressibles, arrachés

à même les visages.

Dans sa main, le lourd pinceau se gorge de neige au flanc généreux de Siple Mount.

Alors,

d'un trait entendu,

Courbet engendre la fille qu'il n'a jamais eu.

Flamme larvaire,

Une sirène aveugle ondule au-dessus

des fosses benthiques

du ciel.

A son évanouissement,

la grâce

                  renverse

les origines

du

               Monde.

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